La charge de la dette nourrit la dette


Explications préalables

Il y a quelques années j’avais demandé à l’INSEE de me fournir le montant exact et précis des intérêts payés chaque année au titre de la dette « au sens de Maastricht » pour l’ensemble des Administrations Publiques  (les « APu » dans le jargon administratif)… Leur réponse négative m’avait poussé à  « reconstruire » ces montants à partir des taux d’intérêts moyens fournis par la Banque de France, et c’est cette reconstruction qui a été à la base des différents calculs que les lecteurs peuvent trouver ici ou là dans les articles ou les livres (1) que j’ai publié sur la question.

La sortie récente du « RAPPORT SUR LA SITUATION DES FINANCES PUBLIQUES » de Paul CHAMPSAUR et Jean-Philippe COTIS (2),m’avait donné espoir que ces données étaient maintenant disponibles…

J’ai donc demandé à nouveau à l’INSEE de me fournir ces informations. Malheureusement, voici leur réponse (tout à fait incroyable alors qu’on nous sature partout avec le problème du poids de la dette) : «L’information recherchée (charge de la dette) ne correspond pas à un agrégat de la comptabilité nationale et ne figure donc pas dans les résultats publiés »Pour l’analyse ci dessous j’ai donc estimé que je pouvais faire confiance à ce rapport cité qui, dans le graphique N°5 (courbe rouge), nous indique la charge de la dette en part de PIB.

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(1) Il s’agit de « La dette publique, une affaire rentable » (ed Yves Michel), « Les 10 plus gros mensonges sur l’économie » (nouvelle édition 2010, ed Dangles, et le dernier paru «Argent, dettes et banques» (ed Yves Michel)

(2) http://lesrapports.ladocumentationfrancaise.fr/cgi-bin/brp/telestats.cgi?brp_ref=104000234&brp_file=0000.pdf

Méthodologie

J’ai donc agrandi ce graphique, ce qui m’a permis de déterminer avec une précision suffisante les valeurs annuelles en pourcentage (valeurs que vous retrouvez dans la 5° colonne du tableau).

Les résultats apparaissent dans ces deux tableaux

et

J’ai ensuite calculé la charge de la dette en euros courants (colonne 4) puis utilisé les données de l’INSEE pour obtenir les coefficients de transformation euros courants en euros constants 2009 (colonne 2)

A partir de là, le calcul des intérêts en euros constants 2009 (colonne 9), des intérêts cumulés (colonne 18), le PIB en euros 2009 (colonne 7) et la dette cumulée (donnée de l’INSEE) en euros courants (colonne 4) transformée en euros constants 2009 (colonne 8 ) et enfin en pourcentage de PIB  (colonne 13)

La variation annuelle de la dette (colonne 10) est une simple soustraction entre les données d’une année sur l’autre. La variation annuelle de la dette telle qu’elle serait « sans intérêts » apparaît donc en colonne 11; c’est augmentation d’une année sur l’autre de la colonne 8, diminué des intérêts payés (colonne 9). Le cumul de la dette sans intérêts (colonne 12) est donc la somme de la cellule de l’année précédente plus le montant de la cellule de la colonne 11.

La charge de la dette calculée sans intérêts en part de PIB (colonne 14) est le simple rapport colonne 12 par colonne 7

Les intérêts de la dette nourrissent la dette.

Nous essayons ici de déterminer les évolutions de la dette des administrations publiques au sens de Maastricht si nous n’avions pas eu à payer d’intérêts sur la dette, tous autres éléments restant constant par ailleurs (en particulier la quantité totale de monnaie en circulation dans l’économie).
Il est évident qu’il peut y avoir certaines approximation qui au final ne devraient pas dépasser 2% des montants constatés.

Constatations :

Il est intéressant de pouvoir visualiser année par année les capacités ou les besoins de financement des APu (toujours au sens de Maastricht) – avec et sans intérêts – sur ces années.

(graphique modifié le 29/11/2010 – suivant données t_3346)

Entre fin 1979 et fin 2009 (30 ans), les APu (État, Administrations diverses, et Administrations de Sécurité Sociale) ont du financer les intérêts de leur dette à hauteur de 1340 milliards d’euros, soit en moyenne 44 milliards d’euros par an (120 millions par jour).

Entre fin 1979 et fin 2009 la dette avec intérêts a augmenté de 1250 milliards d’euros.

Malgré une année 2009 catastrophique en terme d’endettement (comme le seront également sans doute 2010 et 2011), la dette, calculée sans intérêts, aurait néanmoins diminué de 76 milliards d’euros entre fin 1979 et 2009 , et 215 milliards d’euros si on se réfère à fin 2007.

On peut montrer sous forme d’un graphique en valeur et en parts de PIB l’évolution de la dette publique constatée et ce qu’elle serait devenue dans un système monétaire où la Banque de France aurait pu «monétiser» directement (sans devoir passer par l’intermédiaire des banques commerciales pour ce faire) les besoins de financement de l’État et des administrations publiques. Cette monétisation est par définition sans intérêts puisque la Banque de France est une entreprise nationalisée depuis le 1 er janvier 1946

 

Le simple graphique en pourcentage de PIB est peut être plus parlant encore


La justification des promoteurs (dont le seul survivant est Valéry Giscard d’Estaing) de l’article 25 de la loi de 1973 qui interdit à l’État de présenter ses propres effets à l’escompte de la Banque de France fut la suivante : «empêcher l’État d’utiliser la ‘planche à billet’ et par voie de conséquence de limiter l’inflation». Las, l’inflation fut très largement supérieure les 10 ans de 1973 à 1982, par rapport aux 10 ans qui précédèrent cette date, de 1962 à 1972 : 11,2% en moyenne au lieu de 4,4%,

De plus, si la mesure avait été efficace, nous n’aurions évidemment pas de dette et ceux qui peuvent soutenir que la dette – à notre propre Banque Centrale – aurait été plus élevée si nous n’avions pas eu cette obligation de payer des intérêts aux détenteurs de monnaie n’ont évidemment aucun argument justificatif sérieux à faire valoir. La dette a bien évidemment été payée par une augmentation de la masse monétaire dans les mains des épargnants.

Il n’y a aucun doute que les intérêts payés sont la cause de l’augmentation de la dette et du niveau atteint actuellement, et s’il n’y avait pas eu d’intérêts à payer la dette publique aurait représenté fin 2009 quasiment la moitié du pourcentage en part de PIB qu’en 1979, après une dette quasi nulle en 2007.

Nous pouvons donc affirmer que c’est bien globalement le service de la dette qui a nourrit l’augmentation de celle-ci au long de ces 30 dernières années.

A l’heure où le gouvernement veut à tout prix faire des économies, économies qui de toute façon impacteront le pouvoir d’achat de ceux envers qui elles s’appliquent, la première des économies serait de monétiser au minimum les intérêts de la dette publique, évitant ainsi à celle-ci de croître et d’imposer, par son effet boule de neige, encore plus d’emprunts ou de sacrifices à la population dans les années futures.

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Ajout

En prenant comme hypothèses une dette de 1600 milliards d’euros fin 2010, un taux moyen de 3%, une inflation de 2% et une décision de monétisation directe par la Banque de France de 100 milliards d’euros par an , dont l’utilisation est répartie entre le paiement des intérêts (en priorité) et le remboursement de l’existant (pour le solde), en 17 ans la dette serait totalement remboursée, sans léser aucun des détenteurs.

7 Responses to La charge de la dette nourrit la dette

  1. Abbaye dit :

    vous écrivez : « A l’heure où le gouvernement veut à tout prix faire des économies »
    Je ne leurs laisse pas, moi, le benéfice du doute:
    – ils ne veulent pas faire d’économies
    – cette dette a été créée de toutes pièces,
    – elle est savamment entretenue et aggravée par tous les moyens en leur pouvoir
    – elle permet à certains de s’enrichir
    – elle permet de justifier tout un tas de mesures visant à détruire les conquêtes du conseil national de la résistance
    – elle permet de mettre en vente c’est à dire de brader (au profit de gens bien placés) une partie du patrimoine national.
    – elle permet de justifier la privatisation des services publics (privatisations prévues depuis longtemps, quelle que soit l’importance de la dette)

    il est clair qu’avec tous les avantages que cette dette procure à certains au détriment du droit des peuples, elle n’est pas prête d’être combattue, bien au contraire, tout sera fait pour l’aggraver et justifier encore plus de privations imposées aux peuples. Ce qui est visé est un retour radical en arrière avec une humanité divisée en 2 castes comme autrefois: les puissants et les autres.

  2. A-J H dit :

    Ensemble, pour imposer une autre logique !
    Sur le site du CADTM

    La dette, une manne pour les créanciers, un drame pour les peuples !

    L’argument de la dette publique est fréquemment avancé par les gouvernements européens pour imposer des plans d’austérité.

    Mais la dette publique n’est pas seulement utile comme prétexte pour faire payer davantage les populations. Elle constitue une véritable spoliation pour les peuples.

    La dette publique est la conséquence directe de politiques budgétaires et fiscales favorables aux classes sociales aisées et aux grandes entreprises. En réduisant l’implication de l’Etat et les contributions payées par les plus riches, elles ont creusé les déficits publics, alors que les besoins sociaux du plus grand nombre étaient de moins en moins satisfaits.
    Les bénéficiaires de ces largesses fiscales et sociales ont pu dégager une épargne dont ils n’avaient pas besoin. Ils en ont profité pour accroître leur fortune, dont ils ont placé une partie en juteuses obligations d’Etat.
    Cela leur a permis d’être gagnants sur les 2 tableaux : moins d’impôts à payer et une rente garantie perçue sur les dettes publiques. En d’autres termes, les gouvernements, par des lois fiscales successives, ont permis aux entreprises, nationales ou étrangères, de renforcer leur position de créanciers des Etats et de les rendre capables d’exercer un chantage sur les pouvoirs publics tout en faisant des gains substantiels.

    La dette publique a aussi énormément augmenté suite aux généreux plans de sauvetage accordés au secteur financier par les Etats après la crise qui a débuté en 2007-2008. Les gouvernements ont alors choisi de renflouer les banques, mais sans en profiter pour leur imposer l’abandon des pratiques ayant mené à cette crise. Le sauvetage des banques a donc eu lieu sans véritable contrepartie. Les sommes engagées ont pourtant été faramineuses : au moins 700 milliards de dollars aux Etats-Unis, 500 milliards de livres au Royaume-Uni et 1700 milliards d’euros dans la zone euro. Les gouvernements ont ainsi dépensé de l’argent public pour venir au secours d’opérateurs financiers coupables d’errements graves avant cette crise et qui spéculent aujourd‘hui contre les dettes des Etats.

    C’est ainsi que pour l’Union européenne, la dette publique est passée de 7 300 à 8 700 milliards d’euros entre 2007 et 2009. Cette augmentation rapide de la dette entraîne des remboursements de capital et d’intérêts en forte hausse. Les Etats en prennent alors prétexte pour imposer des plans d’austérité draconiens qui provoquent un véritable démantèlement des protections sociales et des services publics.
    Les populations sont doublement perdantes : elles subissent les conséquences sociales de la crise (chômage, précarité, gel des salaires, recul de l’âge de la retraite…) et elles sont ponctionnées par les Etats via les plans de renflouement des banques et les plans d’austérité.

    Les coupables de la crise en sortent quasi indemnes et peuvent continuer leur course aux profits puisqu’on leur laisse les mains libres. Les victimes de la crise doivent payer et voir leurs conditions de vie se dégrader. Ce véritable hold-up sur les finances publiques doit cesser !

    Suite sur http://www.cadtm.org/Ensemble-pour-imposer-une-autre

  3. CAYOL dit :

    Il faut revenir à la monnaie nationale puis, appurer la dette envers les créanciers pour arrêter les intérêts.

    Pour cela, il faut abroger la loi du 3 janvier 1973, l’article 104 dutraité de Maastriche et l’article 123 du traité cde Lisbonne.

    En outre,la souveraineté monétaire permet de mettre un frein aux importations et de liberer les exportations en permettant la dévaluation qui reste un des moyens les plus puissants pour retourner au plein emploi.

  4. […] me disait pas grand chose, « La charge de la dette nourrit la dette » [ Blog Économie Sociétale ] mais qui à la lecture m’a semblé assez génial : La monétisation de la charge de la […]

  5. Lucas dit :

    je doute aussi que l’Etat veille faire des économies. En tout cas pas l’A.F.T.. Vous connaissez l’Agence France Trésor?
    C’est une agence à « compétance nationale » chargée de gerer la dette et la trésorerie de l’etat. et qui dirige cette agence…?
    En grande partie les banques d’affaire privées, vous avez la liste de dirigeants sur le net. c’est un scandale d’Etat ! ces gens doivent dégager ! Monsieur R. Fisher, Monsieur N Koc Song,…( il sont 10 membres à la direction de cette agence)

  6. Very good write ups, Kudos!

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