La retraite des sénateurs…

06/11/2010

Le 2010-11-05 06:53, Jean MILHAU a écrit :

Madame, Monsieur,

J’accuse réception de votre message électronique concernant le régime de retraite des parlementaires.

Les Sénateurs comme les Députés sont investis d’un mandat parlementaire : ils participent à l’exercice de la souveraineté nationale, ils votent la loi et contrôlent l’action du Gouvernement. A cet effet, ils jouissent d’un statut protecteur, conçu non comme un privilège mais comme l’instrument destiné à leur assurer l’indépendance et la liberté nécessaires à leur mission.

Le droit à pension des membres du Parlement est destiné à pallier la rupture subie dans leur carrière professionnelle du fait de leur élection, et à leur garantir un revenu de retraite.

Effectivement, lors de sa séance du 9 septembre 2010, les Députés ont rejeté l’amendement que vous évoquez dans le cadre de l’examen du Projet de loi de réforme des retraites. Cet amendement prévoyait que « le gouvernement présente au Parlement, avant le 31 décembre 2010, un rapport établissant la situation des régimes spécifiques de retraite des membres du gouvernement et des parlementaires et définissant les conditions d’un alignement rapide et effectif de la situation de leurs régimes spécifiques sur le régime général, visant notamment à un encadrement strict des pensions reversées, tant dans leurs possibilités de cumuls que dans leurs montants ».

Cet amendement a été repoussé à la demande conjointe d’Eric Woerth et du rapporteur UMP, M. Denis Jacquat qui a renvoyé le traitement de cette question à la réflexion entamée par le Bureau de l’Assemblée Nationale à ce sujet.

Bien sûr, il n’est pas imaginable que des efforts soient demandés aux Français dont s’exonèreraient les parlementaires.

C’est la raison pour laquelle, lors de sa réunion du 13 octobre 2010, le Bureau du Sénat a lui-même adopté les principes d’une réforme des retraites des Sénateurs, qui porte sur les pistes suivantes :

– le report de la condition d‘âge de 60 à 62 ans

– l’allongement de la durée de cotisation

– le relèvement du taux de cotisation, actuellement de 9,51%, à 10,55%

– la suppression de la cotisation double et la création d’un régime complémentaire à points

– la diminution du taux de la pension de réversion

J’espère que ces informations seront de nature à répondre à vos interrogations.

Je vous prie d’agréer, Madame, Monsieur, l’expression de mes salutations distinguées.

Jean MILHAU, Sénateur du Lot

93 rue Caviole
46 000 CAHORS
Tel/Fax 05. 65. 21. 16. 32

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La réponse de Philippe Derudder

Monsieur Jean MILHAU,
Sénateur du Lot
93 rue Caviole
46 000 CAHORS

Le 4 novembre 2010

Monsieur le Sénateur

Je vous remercie d’avoir pris le temps de répondre au message que je vous avais adressé au sujet du rejet de l’amendement relatif à la réforme des régimes spécifiques des retraites de nos élus. Mais cette réponse, loin de me satisfaire attire de ma part les observations suivantes :

–   Je suis choqué lorsque vous invoquez l’exception de la mission de nos parlementaires qui doit les classer de facto dans une catégorie comparable à nulle autre. Voilà pour moi une affirmation qui relève plus de l’ancien régime que des « valeurs républicaines » auxquelles notre classe politique aime à se référer à tout bout de champ. Ne croyez-vous pas qu’il eut été juste de montrer l’exemple à la Nation en abordant avant tout autre chose la réforme du régime qui vous concerne plutôt que de faire valoir votre exception ? Peut-être serez-vous un jour sensible à l’exception de la mission de l’infirmière qui vous apportera soin et humanité au cœur d’une nuit d’hôpital et verrez-vous alors que chaque être humain a une place sur cette terre qui le rend exceptionnel, tout dépendant des circonstances.

–   Vous invoquez aussi l’indépendance et la liberté nécessaire au bon exercice de la mission de nos parlementaires. A vu de ce qui se déroule dans notre pays depuis une bonne trentaine d’années ne peut-on au contraire voir un abandon continu de l’indépendance de nos représentants et de la souveraineté nationale? Je vous l’accorde, ce phénomène ne concerne pas notre seul pays mais l’ensemble des démocraties qui se sont laissées séduire par le chant des sirènes des nouvelles théories économiques des années 70, maintenant appelées néo-libérales, et qui se résument à 4 principes fondamentaux :

–   Totale dérèglementation des marchés financiers

–   Mondialisation des échanges

–   Désengagement des États

–   Privatisation de l’économie.

En fait d’indépendance, et par obéissance aveugle a cette idéologie devenue quasi religieuse, nos Nations sont maintenant asservies aux caprices des marchés qui conduisent à réduire le rôle du politique à « rassurer les investisseurs ». Si l’indépendance et la souveraineté nationale relèvent du mandat des parlementaires comme vous l’affirmez, je vois alors de leur part comme une trahison dans le vote de la loi 73-7 du 3 janvier 1973, abrogée mais réaffirmée par la loi 93-980 du 4 aout 1993 pour se conformer à l’article 104 du traité de Maastricht, dont le principe est d’interdire aux banques centrales toute forme d’aide, de prêt ou de financement aux Nations et collectivités publiques. La conséquence de ces lois iniques se traduit aujourd’hui par une crise généralisée des dettes souveraines et à la nécessité de transférer annuellement une partie de la richesse nationale équivalente au produit de l’impôt sur le revenu, en ce qui concerne notre pays, pour le seul profit des « investisseurs ». Cette situation légale mais illégitime n’a pu se produire qu’avec le consentement des parlementaires qui ont voté ces lois. Elles placent nos nations en état de dépendance permanente aux exigences des marchés, elles appauvrissent les citoyens, elles affaiblissent l’État et rendent encore plus inique des réformes comme celles de la retraite dont le financement ne poserait pas de problème si la richesse nationale n’était pas indument détournée.

Qu’il s’agisse de notre pays ou de l’Europe, les citoyens que nous sommes ne peuvent qu’assister à la marchandisation progressive de leur existence et de leur environnement au travers d’un jeu de moins en moins démocratique.

Loin de moi, Monsieur le sénateur, l’idée de douter de votre bonne foi et de votre dévouement à la cause publique mais il me semble qu’au spectacle de la situation du monde et de notre pays il serait bienvenu que vous abandonniez les poncifs théoriques que vous invoquez et qui ne se traduisent plus dans notre réalité quotidienne. S’il est quelque chose d’exceptionnel c’est l’époque que nous vivons; elle nous place face à des défis écologiques et humains qui ne trouveront une possibilité de réponse pertinente qu’en rendant aux peuples le choix de leur destin pour le moment confisqué par les intérêts particuliers d’une poignée de nantis. Mon espoir est que le politique, au sens noble du terme, reprenne les rennes au lieu d’être réduit à traduire en termes de bien commun l’avidité de ceux qui, motivés par leur seul intérêt, sont parvenus à s’accaparer les cordons de la bourse et qui dirigent en fait le monde avec le cortège de nuisances et de souffrances qui en découle

Mes propos vous choquent, sans doute. Ils n’ont rien de personnel et j’honore la personne que vous êtes. Je parle de la fonction et non des personnes. Veuillez donc voir dans ce que je dis ici, non pas une critique primaire et haineuse de la classe politique à laquelle vous appartenez, mais l’invitation a reconquérir justement la liberté et l’indépendance que vous ou vos prédécesseurs ont abandonnées. Ce que la loi a cédé, elle peut le reconquérir, tout dépend de la volonté qu’on en a. La méfiance et la désaffection que les citoyens montrent de plus en plus à l’égard de ceux qui sont sensés les représenter devrait vous amener à reconsidérer votre mission et à redonner sens et réalité aux mots que vous utilisez pour justifier l’injustifiable.

Croyez, Monsieur le Sénateur, en ma considération respectueuse.

Philippe Derudder