La circulation de monnaies souveraines

21/12/2012

Extrait du site de Jean Jégu que nous vous recommandons vivement de visiter…

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La circulation de monnaies souveraines

… et des mots pour le dire.

« Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement
et les mots pour le dire se trouvent aisément  »  

Nicolas Boileau. L’art poétique ; Chant I

De toute évidence, la monnaie fiduciaire ( pièces et billets) circule. On est tenté de dire que la monnaie scripturale ( celle qui est « écrite » dans les comptes), elle aussi, circule de comptes en comptes. On voit bien toutefois qu’il ne s’agit pas tout à fait de la même circulation. Qu’est-ce qui constitue vraiment la circulation des monnaies modernes ? Comment mettre des mots intelligibles sur cette circulation ? Pourrait-il exister des monnaies qui ne circuleraient pas?

Telles sont les questions auxquelles nous tenterons de répondre avec l’objectif avoué d’en tirer une proposition d’explication rationnelle, juridique en réalité, du fait monétaire aujourd’hui ou du moins de ce qu’il pourrait ou devrait être.

La circulation des espèces.

Que les monnaies anciennes aient tiré leur valeur d’une qualité intrinsèque ( le métal précieux ) ou que celle-ci ne soit que de nature symbolique ( les billets), leur circulation s’effectue en quelque sorte dans le sens inverse des biens matériels ou immatériels qu’elles permettent d’échanger : l’un donne son argent ; l’autre lui donne ce qu’il vend. L’échange marchand traditionnel porte sur des valeurs jugées équivalentes par les deux parties prenantes : je te donne cet objet et tu me remets la même valeur en monnaie.

Ainsi la monnaie fiduciaire est traitée comme un objet. Elle passe de ma bourse à la tienne ou inversement selon le cas. On peut la donner , la perdre, la retrouver, la voler, la cacher comme n’importe quel objet Comme pour un objet, voire bien davantage car elle n’est pas identifiable ( elle est fongible ), celui qui la détient, son porteur , est réputé en être le propriétaire.

La monnaie fiduciaire peut se caractériser par :

– un émetteur qui en est le garant ( la banque centrale concernée )

– une valeur faciale quantifiée dans une unité définie par l’émetteur

– un propriétaire qui en est le porteur.

Quelles difficultés, quels abus peuvent survenir dans ces conditions ?

On pense bien sûr à des contrefaçons lorsque l’émission ne provient pas de l’autorité légitime mais de l’activité frauduleuse de faux-monnayeurs.

Cependant le risque n’est-il pas aussi du coté du porteur ? Où et comment celui-ci a-t-il acquis cette monnaie ? Si l’on s’en tient au seul examen de l’échange le pire des truands apparait aussi blanc que le plus vertueux des hommes. Cela ne pose pas qu’une question théorique ; on connait hélas de tristes réalités : contrefaçons comme on l’a dit, mais aussi : rackets, blanchiments divers et évasions fiscales parfois jusqu’aux paradis du même nom.

La « circulation » de la monnaie de compte.

La monnaie scripturale – la monnaie de compte – ne circule pas comme les espèces : elle « circule » ( les guillemets sont ici volontaires ) de compte en compte.

Regardons cela de plus près.

Une liaison subsiste entre les flux de biens et services dans un sens et les flux monétaires dans l’autre. Les parties prenantes à l’échange apparaissent clairement en tant que détenteurs de compte ; le compte du vendeur augmente ; celui de l’acheteur diminue et cela d’une valeur acceptée par les deux parties.

Comment déplace-t-on la monnaie scripturale ? On ne la remet pas ; on ne la donne pas. On remet un chèque ; on utilise sa carte bleue, un ordre de virement, un TIP ( titre interbancaire de paiement) ou toute autre moyen de transmission d’ordre aux teneurs de comptes. Ce qui circule c’est l’information sur les rôles et les identités des intervenants dans l’échange et la valeur échangée. Les teneurs des comptes en prennent acte dans les comptes. Ils agissent un peu comme les notaires qui établissent des titres de propriétés actant des changements de propriétaires. La monnaie scripturale est avant tout une réalité juridique ; ce n’est en aucun cas un objet qui circule.

Outre le fait qu’elle soit écrite – et cela peut aujourd’hui se faire en bits élémentaires dans les ordinateurs – la monnaie scripturale, dite encore monnaie de compte, semble pouvoir être caractérisée par :

– une autorité garante de l’authenticité ( nature et provenance ) des valeurs mises en comptes

– une garantie sur la rigueur absolue des modifications apportées aux comptes.

– une identification certaine de la personne physique ou morale titulaire du compte

Quels sont les problèmes potentiels avec ce type de monnaie ? Il semble qu’il y en ait bien moins qu’avec les espèces. En effet, tous les mouvements monétaires ( mouvements purement comptables comme on l’a vu ) sont ainsi totalement connus pour autant qu’une autorité légitime ait accès à tous les comptes et à toutes les modifications de ces comptes. C’est une question de gouvernance si l’on ne veut pas dire de gouvernement.

Trois observations s’imposent :

– la « circulation » de la monnaie scripturale est directement ouverte sur la circulation des espèces. Il faudrait donc un contrôle des retraits ( motif à déclarer par exemple ) et des dépôts ( origine à justifier ) d’espèces, ou bien la suppression totale des espèces comme les technologies modernes le permettraient.

– la « circulation » de la monnaie scripturale emprunte aussi des circuits internationaux hors de portée d’un contrôle national. Il faudrait donc un contrôle des entrées et des sorties de capitaux hors la zone monétaire concernée.

– enfin et surtout , le méli-mélo que constitue le système à réserves fractionnaires ( qu’une petite minorité seulement comprend ) est une porte ouverte à bien des abus. Il faut savoir qu’ aujourd’hui il n’existe pas, comme on le pense spontanément, qu’une seule monnaie de compte ; il en existe autant qu’il existe de banques commerciales indépendantes plus une, celle de la Banque Centrale dite monnaie de base. Néanmoins tous ces comptes comptabilisent des valeurs portant le même nom, et cela de manière parfaitement trompeuse . Quand vous détenez 1000 € sur votre compte à la BNP, ceux-ci ne sont pas strictement équivalent à 20 billets de 50 €. C’est un engagement de la BNP à vous fournir jusqu’à 1000 € en espèces, c’est à dire en monnaie centrale, si vous le lui demandez , mais cela ne veut en aucun cas dire que ces espèces existent et sont aux mains de la banque. Vous n’êtes pas son seul client et comme, en temps normal, ceux-ci ne demandent aujourd’hui en moyenne que 15 % environ de leurs dépôts en espèces, on peut sans se tromper affirmer que si vous avez 1000 € en compte, la BNP n’en détient réellement en moyenne que 150 dans ses comptes. Il serait trop long ici de réexpliquer en détail le système des réserves fractionnaires mais on peut résumer celui-ci de la manière suivante : les monnaies de compte bancaires sont des monnaies scripturales privées normalement garanties par chaque banque et à qui ne correspond que 15 % en moyenne de monnaie de base ( monnaie de compte en Banque Centrale échangeable en espèces ) . Ce système résulte d’une longue évolution historique combinant les besoins de l’économie réelle et la soif de profit des banques. Les monnaies étant désormais totalement dématérialisées ( sans liens avec la rareté des métaux précieux qui n’ont plus que leur valeur propre ), il est non seulement possible mais hautement souhaitable pour assainir la situation que ne soit plus utilisée qu’une seule monnaie de compte, la monnaie de Banque Centrale garantie par la puissance publique. Cette proposition est connue depuis longtemps dans les théories monétaires sous le nom de «  100 % monnaie ».

Résumons-nous.

La monnaie scripturale ne circule pas comme les espèces ; ce sont des informations qui circulent et il en est pris acte au niveau des comptes en monnaie scripturale ou monnaie de compte.

Un compte bancaire doit garantir la valeur des quantités de monnaie comptabilisées, la rigueur des modifications qui y sont apportées et identifier sans ambiguïté le titulaire.

Pour éviter les fraudes, il faut surveiller l’origine des dépôts et la destination des retraits en espèces, surveiller et réglementer les entrées et sorties de capitaux aux frontières de la zone monétaire, et n’utiliser qu’un seule monnaie de compte, c’est à dire mettre en place le « 100 % monnaie ».

Comment « dire » une monnaie moderne ?

Techniquement on pourrait, aujourd’hui, supprimer la circulation des espèces. Elle a été, historiquement, au coeur des systèmes monétaires traditionnels liés aux métaux précieux et pourrait disparaitre avec eux. Les billets de banques n’ont d’ailleurs été initialement que des engagements d’une autorité – une banque ou un état – à fournir, en échange de ces billets, une certaine quantité de métal précieux.

Une monnaie de compte ne circule pas vraiment. Elle n’est que l’enregistrement des états successifs des avoirs monétaires de personnes physiques ou morales identifiées. Dans l’économie réelle ces états successifs sont directement induits par des échanges réels. Ils signifient aussi, en principe, l’accord de deux parties sur un niveau de valeur.

Le teneur de compte est un peu comme le notaire qui enregistre et modifie les titres de propriétés. Les titres de propriété sont constitués de plusieurs pages identifiant les vendeurs et acheteurs, décrivant en détail l’état du bien immobilier, les conditions financières de la vente …

Si l’on devait produire un texte à propos d’un compte en banque, que pourrait-il être ? L’exercice aurait le mérite de nous obliger à en bien comprendre la nature qui est d’ordre juridique.

Conformément à ce qui a été dit précédemment, faisons cet exercice dans le cadre d’une monnaie souveraine ( émise par la puissance publique ) et du « 100% monnaie » ( taux de couverture bancaire de 100 %, c’est à dire une seule monnaie de compte).

Mettons d’abord des mots sur un simple « mouvement » entre deux comptes.

Il y a obligatoirement deux agents économiques, en tout cas deux comptes courants. Il peut aussi y avoir deux teneurs de comptes. L’agent qui va diminuer son compte ( donc celui qui a reçu le bien ou service réel ) diffuse aux teneurs de comptes une information portant que son identité, celle de son partenaire à l’échange et la valeur échangée. Les teneurs de compte s’exécutent sans que la masse monétaire soit en quoique ce soit changée.

Chaque compte garde sa signification, les valeurs monétaires s’ajoutant ou se soustrayant au total existant préalablement. Cette significtion est : « L’autorité monétaire publique reconnaît devoir à l’agent identifié X la valeur monétaire Sx portée au bilan de son compte. »

Cependant il arrive que la masse monétaire change ou soit appelée à changer.

On imagine aisément que l’autorité monétaire puisse accorder un prêt à un agent Y selon le processus habituel qui est un échange croisé de dettes. L’emprunteur reconnaît devoir au prêteur une somme de valeur p ; et le prêteur-émetteur ( ici l’autorité monétaire publique ) approvisionne le compte de Y, ce qui revient à dire : « L’autorité monétaire publique reconnaît devoir à l’agent identifié Y la valeur monétaire Sy portée au bilan de son compte. »

Si au lieu d’un prêt à Y, on considère un fournisseur Z de l’état, il apparaît évident que l’autorité monétaire agissant au nom de l’état peut aussi le payer tout simplement en approvisionnant son compte, ce qui revient à dire : « L’autorité monétaire publique reconnaît devoir à l’agent identifié Z la valeur monétaire Sz portée au bilan de son compte. »

Ce second cas est au moins aussi justifié que le précédent et de toute façon plus compréhensible et logique ; quelle est en effet la logique d’un échange de dettes croisées ? Il serait bon que quelqu’un y mette des mots ! Au contraire, le paiement d’un fournisseur de l’état est la monétisation simple et légitime d’une dette publique.

Il est de plus en plus connu que la masse monétaire accessible à l’économie est augmentée par les emprunts auprès des banques et se trouve diminuée par leurs remboursements. Quel processus diminuera la masse monétaire si on l’augmente par monétisation de dépenses publiques ?

Il s’agit bien entendu de la démonétisation des recettes publiques.

Quand l’état doit faire une recette, c’est qu’il détient une créance qui signifie :«  L’ agent identifié X reconnaît devoir à l’autorité monétaire publique la somme s »

Cette créance est à considérer face au compte de X qui signifie quant à lui, comme on le sait : « L’autorité monétaire publique reconnaît devoir à l’agent identifié X la valeur monétaire Sx portée au bilan de son compte. »

Il est donc parfaitement logique de procéder à l’annulation réciproque de créances pour la valeur s, tout simplement en diminuant le compte de X de la valeur s. La masse monétaire – en fait le total de la dette publique non chargée d’intérêts – est donc réduite de s.

Notre propos est donc susceptible de décrire un circuit monétaire autonome et fermé au sein d’une zone monétaire donnée. La monnaie souveraine qui y circule nait des dépenses collectives en faveur des citoyens et disparaît dans les contributions citoyennes à la collectivité. Elle est donc disponible à volonté, sans charges financières et dans la quantité souhaitable. Entre son émission et sa destruction elle circule entre les agents économiques sans préjuger du type d’économie en place.

Comment, dans ces conditions, concevoir les échanges avec les autres zones monétaires. Celles-ci sont autant d’autorités différentes usant d’unités monétaires différentes. Il convient donc d’être encore plus précis dans la signification d’un compte.

On pourrait le dire ainsi : « L’autorité monétaire publique α reconnaît devoir à l’agent identifié X la valeur monétaire Sxα exprimée en unités de compte Uα et portée au bilan de son compte . »

On est ainsi en présence de quatre caractéristiques :

– l’autorité qui s’engage

– l’agent bénéficiaire

– la valeur monétaire

– l’unité de valeur monétaire.

Considérons ici le cas d’une exportateur X payé par son partenaire étranger Y en monnaie étrangère de l’autorité publique β. Il reçoit donc un titre qui signifie : « L’autorité monétaire publique β reconnaît devoir à l’agent identifié X la valeur monétaire Sxβ en unités de compte Uβ à porter au bilan du compte de cet agent X. » Or ce compte est exprimé en unités Uα. Il y a donc nécessité d’un taux de change entre Uβ et Uα. Mais cela n’est pas suffisant car c’est aussi l’autorité α qui est engagée vis à vis de X dans son compte en unités Uα et non pas l’autorité β. Si donc X ne dispose pas d’un autre compte en unités Uβ ( ce qui est le cas général ), il faut que l’autorité α rachète la créance de X sur l’autorité β à un taux de change « interne» défini par elle-même. A l’issue de l’opération

– l’agent x est propriétaire d’une créance sur α , soit en la verbalisant et de manière tout à fait classique : « L’autorité monétaire publique α reconnaît devoir à l’agent identifié X la valeur monétaire Sxα exprimée en unités de compte Uα et portée au bilan de son compte . ».

– l’autorité monétaire α détient une créance sur l’ autorité monétaire β , créance qui peut être exprimée par : « L’autorité monétaire publique β reconnaît devoir à l’autorité monétaire publique α la valeur monétaire Sxβ en unités de compte Uβ , valeur à porter au bilan des avoirs de α . ». 

Les avoirs monétaires de l’agent X sont donc ainsi intégrés à l’économie « intérieure », celle relevant de l’autorité monétaire α .

Pour traiter du devenir de la créance de l’autorité α sur l’autorité β , il convient de considérer que cette dernière détient de son coté des créances sur l’autorité α , que l’on exprimera par : « L’autorité monétaire publique α reconnaît devoir à l’autorité monétaire publique β la valeur monétaire Syα en unités de compte Uα , valeur à porter au bilan des avoirs de β. ». Les autorités α et β sont donc en situation de négocier une annulation réciproque de créances à un taux de change « externe » sur lequel elles ont à s’entendre. L’accord nécessaire se fera soit au cas par cas, soit par convention d’une « unité de compte commune » souvent qualifiée à tort de « monnaie commune ». Une monnaie est en effet une reconnaissance de dette, tandis qu’une unité de compte commune n’ est qu’un accord sur un taux de change entre au moins deux parties.

Les taux de change, aussi bien « interne » que « externe » sont des actes politiques. Ceci ne signifie pas qu’ils puissent totalement ignorer les taux de change éventuellement pratiqués par ailleurs, à leurs risques et périls et en transactions privées, entre les agents économiques. Cependant la monnaie souveraine marquerait la fin de la « pénurie monétaire entretenue » sur laquelle repose le fonctionnement dévastateur de nos sociétés actuelles.

Conséquences pratiques :

Utopie dirons certains. Est-ce si sûr ?

Car aujourd’hui, c’est déjà la puissance publique, les contribuables en fait, qui garantissent la monnaie. Celle-ci est émise par le truchement d’une Banque Centrale Européenne, laquelle est bizarrement déclarée totalement indépendante des pouvoirs publics bien qu’ elle apartienne à diverses banques centrales nationales (dont certaines hors de la zone euro). Tant pis pour la cohérence d’une telle logique.

Que se passe-t-il régulièrement ? L’état est légalement obligé d’emprunter aux banques les sommes qui lui manquent, ne serait-ce que parce qu’il va rembourser un emprunt précédant ( ce qui serait le cas même si le déficit était récuit à zéro ! ). Il reçoit donc des banques S euros prêtés pour une durée fixée et au taux I, contre la remise de titres de reconnaissance de dette à ces banques. Celles-ci en échange de ces titres souverains peuvent se refinancer auprès de la BCE au taux i et pour un total de S euros. Résultat : il existe bien S euros supplémentaires ( ceux issus du refinancement ). Il y a création monétaire de S euros comme conséquence de l’emprunt de l’état mais celui-ci est contraint de payer des intérêts aux banques qui bénéficient de l’écart de taux I – i .

En résumé : l’état émet sa monnaie mais par un processus que le conduit, d’une part à payer des intérêts aux banques et d’autre part à devoir périodiquement leur ré-emprunter.

Ce système génère un alourdissement progressif et indéfini de la dette publique. C’est une pénurie monétaire organisée qui permet à quelques très riches – n’ayons pas peur de mots – de tenir l’économie et par là la société. A supposer même qu’une admirable « règle d’or » en vienne à permettre de stabiliser cette dette publique, nous atteindrions un état permanent dans lequel nous payerions tous indéfiniment notre monnaie aux plus riches. Dit autrement, les producteurs continueront obligatoirement de payer indéfiniment leur tribu aux possédants. Est-ce bien cela l’avenir que nous choisissons ?

Donc nous payons collectivement pour notre monnaie, celle que nous garantissons. Mais, le plus souvent, nous payons aussi individuellement un deuxième fois. Car non seulement l’état emprunte aux banques, mais toute l’économie le fait aussi. Certes tous les agents économiques ne sont pas endettés, mais savez-vous que toute l’épargne des uns vient des emprunts des autres ?

Quand le système bancaire dispose de S euros, croyez-vous qu’il le laisse en Banque Centrale ? Ne va-t-il pas plutôt le prêter pour engranger des intérêts ? La réponse est inattendue : oui, la monnaie des banques est reprêtée ; chaque euro est même prêté plusieurs fois ( 4 à 6 fois ! ) parce que, justement, il reste en Banque Centrale ! Ainsi, en pratiquant des taux, par exemple, de 5 % , les rentrées d’intérêts atteignent en fait 20 à 30 % !

Comment cela peut-il se faire ? C’est très simple quoique fort subtil. Sur les comptes des banques en Banque Centrale, il y a de « vrais euros », des euros dits « de base », ceux garantis par les états. Mais sur les comptes des agents économiques en banques commerciales, il n’y a pas de vrais euros, mais uniquement les promesses de chaque banque commerciale de fournir de vrais euros sur demande des clients. Ayant constaté que ces clients ne demandent pas si souvent des euros « de base » les banques commerciales peuvent se permettre dans les faits de faire environ 4 à 6 fois plus de promesses que ce dont elles disposent réellement en Banque Centrale. Statistiquement ce système fonctionne correctement en général et en situation normale, c’est à dire qu’il fournit effectivement de vrais euros quand on le lit demande. De vrais euros sont demandés dans deux cas : quand on retire des billets et quand on fait un chèque ou un virement vers une autre banque ( car il faut savoir que les banques n’utilisent entre elles, quand elles doivent solder leurs comptes,  que de vrais euros, des « euros de base » et non pas des euros bancaires qui ne sont que des « promesses d’euros de base »). Les euros bancaires étant au contraire largement utilisés dans l’économie, les intérêts versés aux banques proportionnellement aux crédits accordés en euros bancaires permettent à ces banques d’acquérir l’équivalent en richesses réelles produites par l’économie.

En résumé, les banques sont autorisées à prêter communément beaucoup plus que leurs avoirs monétaires. C’est le principe bancaire qui distingue clairement une banque d’un simple établissement financier lequel n’est habilité qu’à prêter l’épargne préalablement collectée. Cependant une banque est aussi un établissement financier mais un établissement financier n’est pas toujours une banque. (Ceci ne manque pas d’embrouiller encore plus la compréhension du fonctionnement des banques, y compris, hélas, pour des banquiers et des économistes ! )

Serait-il si utopique que l’état n’accepte plus de payer les banques pour la monnaie que lui-même garantit ? Serait-il si injuste et irréaliste que les banques ne puissent, comme tout un chacun, prêter qu’une seule fois leurs avoirs monétaires ? C’est ce en quoi consiste la proposition connue en économie sous le nom de «100 % monnaie ». Il ne suffit pas de s’insurger contre le capitalisme ; il faut exiger le passage au « 100 % monnaie » – qui correspond à la logique que nous avons tenté d’ expliciter ci-dessus. C’est sans doute la seule issue pour sortir de l’effondrement mortel qui semble se préparer. Surtout, c’est l’espoir de pouvoir libérer les efforts de toute sorte, absolument nécessaires pour faire face aux défis réels de notre temps : le changement climatique, l’épuisement des matières premières, l’alimentation des populations humaines, la résorption d’inégalités de plus en plus intolérables, et plus généralement l’avénement de sociétés humaines harmonieuses et pacifiées.

Une colère compréhensible monte chez ceux qui prennent conscience des méfaits de la pénurie monétaire entretenue et de la finance qui en joue. Ils doivent la muer en une détermination sereine mais inflexible à mettre en oeuvre les moyens qui changeraient enfin durablement la donne.

Jean Jégu. 4 avril 2012


Souverainetés monétaires et coopérations internationales.

23/06/2011

Un article de Jean Jégu : son site

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La finance omniprésente est  plus que jamais source de  problèmes. Le drainage des capitaux vers la spéculation handicape l’économie réelle. Mais la finance  trébucherait  vite sur un manque de liquidités c’est-à-dire de moyens de paiements si l’émission de la monnaie n’avait été conquise par les organismes spéculateurs que  sont  devenues les banques. La reconquête de la monnaie est le préalable indispensable à la mise au pas  de la finance.

L’histoire de la monnaie est rarement enseignée ; elle serait pourtant riche d’enseignements. De la pratique ancienne du simple « troc intermédié » ( la monnaie est un objet ou un animal utile, facilement échangeable  ) en passant par les monnaies métalliques pour arriver jusqu’à nos cartes de crédit, la monnaie a toujours eu une composante sociale essentielle. Maintenant que même le  fétichisme de l’or a presque disparu, la monnaie n’est plus que de nature sociale, contractuelle devrait-on dire.

On ne peut penser une devise sans référence au territoire qui est le sien. Du coup, deux grands chapitres s’imposent : la monnaie dans son territoire, c’est à dire la monnaie de l’intérieur ( au sens ministère de l’intérieur), et la monnaie de l’extérieur c’est à dire à l’international. Le rôle premier de la monnaie est d’être le moyen de paiement  des échanges  courants ; c’est donc la monnaie de l’intérieur qu’il convient d’abord d’interroger. Ensuite, et ensuite seulement,  nous pourrons en tirer des conclusions pour les échanges internationaux

A : la monnaie de l’intérieur.

Une transaction commerciale  consiste dans l’échange d’un bien ou d’un service contre une certaine quantité de monnaie. Cette monnaie appartient à l’une des parties échangeantes. Si tous les agents économiques disposaient de monnaie en quantité suffisante, il ne resterait qu’à organiser  la production et la distribution. Mais tous les agents n’ont pas la monnaie suffisante ; beaucoup doivent s’endetter. C’est le cas de la plupart des entrepreneurs. Il faut  comprendre que la monnaie intervenant dans un échange peut  avoir été préalablement empruntée par celui qui l’utilise. Mais celui qui utilise de la monnaie lui appartenant en propre peut très bien l’avoir gagnée auprès de quelqu’un qui l’a d’abord lui-même empruntée. Et ainsi de suite.  Compte tenu des mécanismes actuels de production de la monnaie, la réalité incontournable d’aujourd’hui est que presque [note 1: Ce « presque » revêt néanmoins une importance remarquable. On le verra ci-après, il s’agit de la monétisation des dettes, processus que nous considérons comme  fondamental dans l’analyse de la création monétaire] toute la monnaie qui circule est, à son origine, née d’un emprunt. Voilà pourquoi chercher la solution aux problèmes des endettés en leur prêtant davantage encore est une chimère.

Rappelons deux  vérités à ne pas perdre de vue.

On objectera qu’un prêt étant la mise à disposition d’autrui, moyennant intérêt, d’une somme qui m’appartient, la monnaie ne peut pas naître d’un emprunt ; elle lui préexiste. Il est exact que ce type de prêt  est très courant. On le qualifie souvent de « prêt mutuel ». Mais tous les prêts ne sont pas des « prêts mutuels ». En outre, on peut aussi s’interroger sur l’origine de la monnaie prêtée dans un prêt mutuel ? La monnaie  actuelle n’existe pas depuis la nuit des temps et sa quantité totale ne cesse d’augmenter. Il existe donc quelque part un mécanisme  créateur de monnaie. Ce mécanisme c’est le crédit bancaire. Tous  les traités d’économie le disent. Une banque, après signature de votre emprunt, inscrit sur votre compte courant la somme convenue. Elle ne prend cette somme nulle part ailleurs. C’est son écriture comptable qui  la crée.

  Bien des professsionnels de la banque n’en conviennent pas.  Il y a à cela au moins deux bonnes explications, en plus de celle qui consiste à admettre qu’on peut être  banquier sans être spécialisé  en théorie monétaire. Un pilote de rallye n’est pas toujours un féru de mécanique automobile. La première raison est le fait que les banques ne reprêtent pas directement l’épargne qu’elles collectent. Elles gèrent certes  les crédits qu’elles accordent en fonction, en proportion devrait-on dire, de l’argent collecté mais il y a  généralement beaucoup plus de crédits que d’épargne . Les crédits bancaires sont donc pour partie mais de manière indifférenciable des prêts mutuels et pour partie des prêts créateurs de monnaie. Dans le cas contraire, quand le flux des crédits bancaires vaut moins  que celui de l’épargne collectée, les banques deviennent  destructrices de monnaie.

La deuxième raison est  plus fondamentale. Les banquiers affirment que la monnaie n’est émise que par la Banque Centrale et pas du tout par les banques dites secondaires. Ici on pourrait leur donner raison mais à condition de s’entendre sur le sens des mots. Derrière leur mot « monnaie » et  celui du commun des mortels, il n’y a pas le même segment d’une même réalité. Tentons de l’expliquer simplement.

Chaque devise relève normalement d’une Banque Centrale ( BC ). Dans chaque zone monétaire,  on trouve une  banque dite « Banque Centrale » car elle tient les comptes courants de toutes les autres banques ( dites secondaires ) ainsi que celle du ou des Trésors Publics de la zone. Une Banque Centrale gère les comptes de ses clients  exactement comme votre banque gère le vôtre. En particulier les banques peuvent y retirer ou déposer des « billets de banque » moyennant inscription du mouvement sur leurs comptes. Le total du compte d’une banque et des billets qu’elle a retirés constitue l’avoir monétaire cette banque. Les billets retirés le sont pour être mis, sur leur demande, à disposition des divers clients de la banque ; le compte à la BC sert aux règlements avec les  autres banques. A ce stade on voit circuler, entre banques et Trésors Publics, de la monnaie dite « centrale » ou encore « de base »  ( la suite va expliquer pourquoi ce vocabulaire : monnaie « de base »). En ce sens, les banquiers ont raison : seule la BC émet la monnaie « de base », mais celle-ci n’est accessible à l’économie que par les billets, alors que la majorité des paiements se fait actuellement par des écritures entre comptes bancaires. Voilà bien  le problème.

Le coeur du problème, c’est que les banquiers ne veulent connaître que la monnaie centrale. Un écrit dans le compte d’un client n’est, pour eux, qu’un engagement à lui fournir des billets s’il en demande, ou plus généralement une promesse de monnaie centrale. Ils ont tout à fait raison. Mais là où le système devient problématique, c’est que ces promesses peuvent donner lieu à quelques abus. La banque promet beaucoup plus ( de l’ordre de cinq fois plus et parfois bien davantage ) que ce qu’elle a en caisse. Et toutes les banques font de même car elles y sont autorisées par la loi. Cela revient à dire et à constater qu’elles mettent à disposition, qu’elles prêtent le même argent à plusieurs personnes différentes sans que celles-ci en aient conscience.   Comment parviennent-elles à faire face à cette situation ? Cela reste leur affaire, pas celle des clients. On pourrait en conclure que cela arrange tout le monde, ce qui est le cas quand tout va bien : les banques fonctionnent et accordent des crédits à l’économie qui en a besoin. Les crédits bancaires se déversent sur les comptes bancaires et les échanges se font en grande partie par des mouvements écrits entre compte bancaires. Ceci donne naissance aux moyens de paiements largement en usage dans l ‘économie, moyens de paiements que nous nommons monnaie bancaire. Ce sont bien les banques qui créent la monnaie bancaire. Un banquier qui soutiendrait le contraire se tromperait lourdement ou serait de mauvaise foi.

En pratique le total de la monnaie bancaire atteint donc plus de cinq fois le total de la monnaie centrale. Pourquoi ce rapport  appelé « multiplicateur de crédit » ? Il n’a pas toujours eu sa valeur actuelle. Il évolue en fonction des habitudes de la clientèle et des moyens mis à sa disposition ( chèques, virements, cartes ). Pour une quantité de monnaie de base donnée,  les banques ont avantage à placer le maximum possible de crédits, c’est à dire à la prêter le plus de fois possible. Cela leur ramènera le maximum d’intérêts. La valeur du « multiplicateur de crédit » n’est limitée que par des règlements imposés aux banques pour leur éviter de prendre trop de risque, le risque  de ne pouvoir honorer leurs promesses de monnaie centrale. Ainsi en empruntant 100 à la BC au taux directeur i, une banque peut prêter 500, ou davantage,  à sa clientèle au taux majoré j. Cela revient soit à prêter 5  fois la même somme, soit à prêter 400 sortis du néant à un taux d’intérêt j. Comme l’affaire porte sur presque toute la masse monétaire bancaire ( en France, des centaines de millards d’euros )  les flux d’intérêts vers les banques  sont considérables ( quelques dizaines de milliards d’euros par an ). Voilà ce qui explique en grande partie la profitabilité remarquable des banques un peu partout dans le monde.

 Mais le paiement  des intérêts aux banques et, plus largement, aux détenteurs de capitaux est un fardeau   pour  l’économie et distord  la distribution des  revenus.  Et si une banque vient à faire faillite et que ses avoirs monétaires s’évanouissent que deviennent les promesses qu’elle a faites à sa clientèle  ? Naturellement, la clientèle voit dans le même temps disparaître ses avoirs « en promesses de monnaie centrale » c’est à dire sa monnaie  bancaire.  Si  plusieurs banques sont concernées, c’est tout un pan de la monnaie bancaire qui   disparaît. Les états ont récemment eu  la bonne idée de ne pas laisser survenir cette débâcle : ils ont apporté de la monnaie de base aux banques. Comment cela peut-il se faire ? Exactement de la même façon qu’au  niveau de l’attribution des crédits bancaires. Les états acceptent de s’endetter auprès des banques  et ces engagements sont traduits en monnaie de base par la Banque Centrale au profit des banques qui ont pu acquériir de tels engagements. De même que les comptes en banque sont remplis en monnaie bancaire sur la base des contrats d’emprunt signés par les clients, ainsi les comptes des banques sont approvisionnés en monnaie centrale sur la base des emprunts souscrits par les états ( rappel : les états ont comme les banques  leur compte en BC). En définitive ce sont donc les contribuables des états qui soutiennent le système financier, les banques étant  des intermédiaires obligés et fortement « intéressés »  entre ces états et les agents économiques, et non pas de simples intermédiaires  comme on aurait tort de le penser.

En résumé, l’essentiel de  la monnaie qui circule dans l’économie provient des crédits bancaires. ; c’est la première vérité à retenir. La monnaie bancaire qui en résulte est au moins cinq fois plus abondante que la monnaie de base possédée par les banques ;  c’est le système dit, pour cette raison, de « réserves fractionnaires ». Les banques retirent de ce système des flux d’intérêts nets très importants qui leur confèrent  un poids et un pouvoir économique majeurs, bien que la monnaie centrale qui est à la base de  tout cela reste toujours garantie de fait par les états, c’est à dire les contribuables. C’est la seconde vérité  à  souligner.

Pour que les états retrouvent du pouvoir monétaire,  d’aucuns  préconisent qu’ ils empruntent directement à leur BC et non pas aux banques. Aux USA, c’est déjà le cas, mais la BC étasunienne , la FED, est propriété d’actonnaires privés. En eurozone, la BCE appartient aux états  mais les traités européens leur interdisent d’emprunter directement à la BCE. Il faudrait donc impérativement réviser ces traités. En supposant que cela soit fait, on libérerait ainsi la monnaie centrale de la mainmise directe des banques ;  celles-ci n’en garderaitent pas moins la faculté d’engranger des intérêts énormes du fait du  multiplicateur de crédit (ou dit autrement , par la vertu du système à « réserves fractionnaires »). Il faudrait donc aussi et dans le même mouvement réduire à l’unité ce fameux multiplicateur de crédit : les banques ne seraient autorisées qu’à prêter l’épargne qu’elles auraient au préalable collectée. C’est ce que l’on appelle le système du   « 100 % monnaie ».

De ce qui précède on peut conclure que la monnaie nait toujours d’une manière ou d’une autre de l’engagement de quelqu’un à la rembourser. Encore faut-il que ce quelqu’un soit identifié et digne de confiance. La  monnaie est inséparable de la dette mais de quelle dette ?

Avant de proposer une vision de la monnaie simple, socialement acceptable et crédible, il nous faut encore expliciter un autre mécanisme bancaire créateur de monnaie. En effet, si la création monétaire est massivement le fait de l’attribution de crédits, elle ne s’y réduit pas [note 2 : C’est ici l’explicitation du « presque » introduit précédemment. Pour mémoire, l’achat de devises étrangères par une banque crée aussi de la monnaie.] . Il s’agit de la « monétisation des dettes », auquel correspond symétriquement le mécanisme de « démonétisation des recettes ». Les banques se libèrent de leurs dettes simplement en alimentant en monnaie bancaire les comptes de leurs créanciers. Elles encaissent leurs recettes en monnaie bancaire simplement  en effaçant leur montant sur les comptes de leurs débiteurs. Ce sont là autant de promesses supplémentaires accordées ou au contraire de promesses effacées. Dans le système des réserves fractionnaires ce mécanisme est donc  tout à fait légitime pour créer ( ou détruire ) de la monnaie. La seule différence – mais très importante –  avec la création par attribution de crédit est que la promesse de monnaie n’est ici grevée d’aucun intérêt  ni d‘aucune échéance pour celui qui en bénéficie. C’est un formidable renversement des rôles : dans la création monétaire par crédit, l’endetté est le bénéficiaire du crédit, celui qui a besoin de monnaie ; dans la monétisation des dettes, l’endetté est celui qui émet la monnaie car celle-ci est et n’est que la reconnaissance de sa dette.

Ainsi la monnaie est toujours une dette, mais elle peut être celle de l’émetteur si celui-ci l’émet justement à l’occasion de l’apparition d’ une dette et en tant que reconnaissance de celle-ci. Cette reconnaissance de dette sera légitimement détruite le jour où son porteur « devra à » ou « recevra de » cet émetteur la même valeur. Il reste à identifier un émetteur digne de confiance. Contre sa monnaie, je finirai sûrement par recevoir des biens ou services réels qui le libéreront de sa dette , ou bien  j’ accumulerai moi-même une dette équivalente à son égard ce qui nous libérera l’un  et l’ autre par annulation réciproque.

 De toute évidence, qui serait mieux placé pour émettre des reconnaissances de dettes capables de circuler  en tant que monnaie au sein d’une collectivité, qui serait mieux placé que cette collectivité elle-même en tant que telle ?  La monnaie la plus logique et cohérente est celle qui est faite de dettes de la  collectivité envers, initialement, les premiers bénéficiaires au moment de son émission et, ensuite, envers ceux qui en deviennent porteurs au cours des échanges monétaires successifs. La monétisation de la dette publique doit être la source de la monnaie publique. Nulle  banque n’a légitimité pour générer de la monnaie publique ; la monétisation de la dette publique doit aller avec la pratique du  100 % monnaie.

Aucune des objections faites à ce nouveau système ne tient à l’examen : risque d’inflation, blocage dû au manque de prêts,  effondrement de la devise sur les marchés extérieurs.

Comment pourrait-on  trouver meilleure position pour réguler la masse monétaire, donc l’inflation, si la collectivité tient d’une main la création monétaire ( sélection de ses dépenses)  et de l’autre la destruction monétaire ( organisation de la fiscalité et des recettes venant des services publics) ? Bien sûr, cela suppose un gouvernement réellement au service du bien public, d’où l’absolue nécessité d’une démocratie réelle.

Quant au manque de monnaie par disparition des prêts, il faut se souvenir que les « prêts mutuels » évoqués précédemment n’auraient aucune raison de ne plus exister.  Quand bien même cette situation de manque de liquidités  devrait-elle survenir, la collectivité qui doit à ses membres une monnaie efficace et de qualité, serait tout à fait fondée à prendre les engagements nécessaires, c’est à dire à monétiser la dette nécessaire. Elle l’est d’ailleurs chaque fois que la dette collective à monétiser est démocratiquement  acceptée. La monnaie ainsi émise pourrait non seulement  couvrir le fonctionnement et les investissement courants mais aussi le champ actuel des subventions, des prêts à taux zéros, ou de toute autre intervention sociale volontaire ( exemple : un revenu d’existence). Evidemment, la démonétisation tout aussi nécessaire que la monétisation – toute dette doit finir par être payée – la démonétisation exige l’existence d’une fiscalité bien ajustée aux équilibres sociaux et/ou la mise en place de services publics payants.  Autrefois les dépenses du souverain  enrichissaient  son peuple ;  demain les dépenses publiques pourraient enrichir les citoyens !

L’objection d’un effondrement de la monnaie sur les marchés extérieurs est certainement la plus difficile à  réfuter. Mais si l’on met de coté la période transitoire initiale de mise en place de cette modification fondamentale, on peut à terme imaginer des solutions coopératives efficaces entre zones monétaires. Ce sera le thème de la section suivante.

B : la monnaie à l’international.

Si une monnaie émise exclusivement ( 100 % monnaie ) par une collectivité  est faite de dettes de cette collectivité envers certains de ses membres, qu’en est-il de cette monnaie livrée à un étranger en échange de l’importation d’un bien ?   La question est symétrique pour les devises étrangères reçues lors des exportations. La valeur d’une devise est assez bien définie – quoiqu’évolutive –  à l’intérieur de sa zone ; à l’extérieur on rencontre immédiatement la question des taux de change.  Au sein d’une zone, ceux-ci peuvent être administrés ou bien laissés à l’appréciation des marchés.

 En l’absence de toute convention particulière, on voit mal comment les lois de l’offre et de la demande ne s’appliqueraient pas entre particuliers – sauf contrôle sévère des mouvements de capitaux. Cependant normalement les devises sont rachetées par la BC oeuvrant pour la collectivité ; ce faisant, elle émet la monnaie de sa zone  au taux de change qu’elle choisit. On se retrouve donc avec plusieurs BC détenant diverses devises étrangères. Les BC sont donc en position de négocier l’annulation de leurs dettes respectives ( puiqu’ici chaque devise est une dette de la collectivité qui l’a émise). Nous sommes ici dans une position de troc entre zones monétaires.  Mais ceci n’est pas nécessairement satisfaisant. Il est tout à fait possible de faire beaucoup mieux.

Pour la fluidité et l’équilibre des échanges  économiques entre zones ( deux ou davantage), il est souhaitable qu’à un moment donné des taux de change officiels soient définis pour une durée donnée. Nous serions là en présence de taux de change périodiquement renégociés. Ceci peut encore s’exprimer par la mise en place, entre collectivités contractantes, d’ une unité de compte commune ( dite encore « monnaie de compte » par opposition à la  « monnaie d’échange »). Ainsi chaque collectivité en fonction de son contexte économique et en concertation avec ses partenaires pourrait réajuster le taux de change de sa devise par rapport à la monnaie de compte commune.  Tout paiement ne pourrait se faire qu’en une devise bien identifiée ;  jamais dans une monnaie de compte qui n’est pas faite pour cela et ne nécessite donc aucune émission. La monnaie de compte est le moyen de piloter les taux de change entre collectivités ayant décidé de coopérer.

Au niveau mondial, le processus pourrait, tout en revalorisant  les monnaies nationales, engendrer des zones de coopération ayant leurs monnaies de compte communes. Les monnaies de compte communes pourraient elles-mêmes coopérer via la définition d’une monnaie de compte mondiale. Peu à peu, en fonction des évolutions prévisibles ( nivellement  des niveaux de vie et uniformisation des cultures ), des monnaies nationales pourraient disparaître  par mutation de certaines monnaies de compte en monnaies d’échange à la condition indispensable que les conditions politiques permettent l’endettement collectif et solidaire sans lequel il n’est pas de monnaie d’échange. C’est de l’unité politique que peut naitre l’unité monétaire et en aucun cas l’inverse.

Une évolution en taches d’huile faisant apparaître des zones économiques unifiées de plus en plus étendues ne ferait que reprendre et poursuivre notre évolution historique. La perspective d’une monnaie de compte mondiale est  cohérente avec notre point de vue. Il ne faut cependant  jamais confondre monnaie d’échange qui engage la collectivité émettrice,  et monnaie de compte qui n’est qu’un moyen de gestion des taux de change.

En conclusion :

 Personne ne devrait ignorer ce qui suit :

– une monnaie publique peut être émise par toute collectivité politiquement souveraine  et donc économiquement solidaire. Cette monnaie publique n’est autre que la dette publique monétisée. Ceci n’a aucune raison d’engendrer plus d’inflation puisque, à condition de se placer en « 100 % monnaie », la création monétaire ainsi que sa destruction seraient directement contrôlables. Ceci permet néanmoins de continuer à pratiquer les « prêts mutuels ».

– le retour aux monnaies nationales n’implique absolument pas un retrait sur des positions dangereusement nationalistes. Ce n’est qu’une prise en compte réaliste de l’engagement collectif et solidaire lié à l’émission de  la monnaie publique, sans exclure la possibilité de coopération avec les collectivités voisines, en particulier par la mise en place d’ une monnaie de compte commune. Au contraire ce pourrait être le début d’un processus de mondialisation réaliste débouchant, à terme, sur une monnaie de compte mondiale  et  favorisant de véritables fusions entre certaines monnaies nationales.

Bien entendu les réalisations concrètes nécessiteraient  encore bien des précisions mais les grandes lignes semblent bien là. Les questions de transition restent aussi largement ouvertes. Aux politiques de s’y investir. Des économies libérées de la dette sont concevables et  la souveraineté des peuples peut être respectée sans nuire à une mondialisation progressive probablement  inéluctable  à terme.

Il serait regrettable de voir naitre à ce sujet des divisions factices et de craindre que sans l’économie d’endettement rien ne soit possible. Au contraire nous pourrions enfin affronter les vrais problèmes :  satisfaire nos besoins alimentaires, énergétiques et culturels, conserver nos milieux de vie, sans compter la préservation de notre bien le plus précieux, la paix entre nos peuples.

                                                                                                                      Jean Jégu  –   Juin 2011



Modèle élémentaire de circulation monétaire équilibrée

12/12/2010

Dans l’hypothèse d’une émission monétaire entièrement réservée à la puissance publique, on examine quelle pourrait être l’organisation de la circulation monétaire dans l’ensemble du corps social.

Celui-ci est arbitrairement classé d’une part selon deux catégories d’organisations, celle des collectivités à vocation publique et celle des entreprises à vocation privée, d’autre part selon deux catégories d’individus, les travailleurs (actifs) et les ayants-droits (inactifs). Les besoins monétaires de chacune de ces quatre composantes étant supposés connus, on constate qu’il est toujours possible de les satisfaire tout en bouclant un circuit monétaire assurant un déficit nul. Les solutions sont multiples et sélectionnables selon des choix de nature psycho-sociale qui ne lèsent aucun des groupes sociaux.

Ceci laisse largement ouvert le champ des possibles, notamment ceux qui favoriseraient davantage l’ « être » plutôt que le « consommer ».

Par Jean Jegu (son site) . janvier 2010

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